Comédie dramatique de Victor Slavkine, mise en scène de Laurent Gutmann, avec Jade Collinet, Bruno Forget, Daniel Laloux, Marie-Christine Orry, Éric Petitjean, François Raffenaud et Richard Sammut.

Inévitablement la tentation est grande de voir en Victor Slavkine, qui a connu le grand désenchantement du soviétisme, le petit-fils de Tchekhov.

D'autant que l'auteur lui-même l'induit dans "Le cerceau" avec la première scène dans laquelle la hache emblématique qui abat les arbres tutélaires de "La cerisaie" ramène à la vie la maison abandonnée de la grand-mère du brave Petouchok qui vient d'en hériter.

Et comme dans une histoire qui se répète, la dernière scène, celle qui clôt cette villégiature dans la campagne russe, comme la scène des adieux à la cerisaie, voit les estivants d'un week-end assis en rang d'oignons pour contempler une hypothétique rive, celle d'un passé révolu qui s'estompe déjà ou d'un lendemain qui chantera peut-être mais encore noyé dans d'opaques brumes. Ave,c en point d'orgue, la quasi réincarnation du brave Firs dans le personnage du vieil homme interprété magnifiquement par Daniel Laloux qui revient dans la maison de son épouse pour chercher des tétines pour le bébé de sa petite fille adoptive.

Et ce n'est pas la magnifique proposition de Laurent Gutmann qui en dissuadera même si l'avant-garde imaginiste russe est passée par là et si Victor Slavkine, né dans les années 30, a connu le théâtre de Ionesco et de Beckett.

Placée sous le signe de l'antique jeu du cerceau, les protagonistes de cette fable burlesque sont nés sous le réalisme soviétique sans avoir vraiment souffert, semble-t-il, autrement que de la promiscuité et du confort rudimentaire des fameux "kommounalka". Mais là n'est pas tant le propos même si l'héritier de la maison, le brave Petouchok, superbement investi par Eric Petitjean, avec son pantalon à cueillir les fraises, ses chaussures éculées et sa casquette, vieux symbole libertaire, nourrit un rêve de phalanstère à petite échelle.

A cet effet, il a réuni, non pas ses amis - il n'en a pas - mais des connaissances plus ou moins récentes et de son entourage : un amour de jeunesse (Marie-Christine Orry désopilante en revenue de tout qui espère qu'il se passe un jour quelque chose dans sa vie), une voisine de "poubelles" (Jade Collinet, désarmante de naïve candeur), son supérieur hiérarchique, l'ingénieur en chef sanglé dans son costume trois pièces étriqué avec sa mèche à la Giscard (bien campé par François Raffenaud), un pseudo intellectuel, historien et entreprenant fabricant de portes capitonnées (Bruno Forget particulièrement intrigant) et un auto-stoppeur globe-trotter suédo-balte (Richard Sammut très juste).

Victor Slavkine s'intéresse à l'âme humaine dans son désarroi tout simplement face à la vie en observant au microscope des individus ordinaires qu'il immerge dans une quatrième dimension, sans repères, une maison inconnue et délabrée, monde de tous les possibles, dans laquelle, chacun, selon sa déclinaison singulière, montre la même inaptitude à vivre dans le présent, toujours suspendu entre la nostalgie du passé et l'incertitude de l'avenir.

Propulsé dans cet accélérateur de particules, ces petits électrons, ces petits morceaux de chair vagissante comme écrira plus tard Hanokh Levin, déchirés entre la peur et la fascination de la vie tournent comme des toupies sans jamais se satelliser ni s'arrimer à une histoire plus que commune, partagée, et dont ces quelques jours représentent, peut-être, une vaine tentative. Après, tout sera-t-il comme avant?

Au terme d'un admirable travail de direction d'acteur et d'une vraie intelligence de l'oeuvre, Laurent Gutmann présente un spectacle totalement réussi porté par des comédiens heureusement investis dans une étrange oeuvre chorale composée de partitions dissonnantes, qui s'imbriquent pour former une mosaïque dadaiste, nimbée d'une atmosphère irééaliste qui fait de ce temps commun une véritable parenthèse enchantée.