"La mode retrouvée - Les robes trésors de la comtesse Greffulhe", le Palais Galliera propose une exposition au judicieux titre en forme de clin d'oeil littéraire qui s'inscrit certes dans l'histoire de la mode mais propose une immersion dans un monde disparu qui a brillé de mille feux à l'aube du 20ème siècle.
En effet, elle invite à découvrir quelques pièces de la prestigieuse garde-robe d'une figure majeure de la vie mondaine de la Belle Epoque qui fut l'inspiratrice d'un des personnages de la saga proustiennne "A la recherche du temps perdu", dans laquelle elle est transposée sous le nom de la duchesse de Guermantes.
Par ailleurs, le directeur du lieu, Olivier Saillard, qui en assure le commissariat, l'a conçu comme une monstration raisonnée qui, tout en esquissant un portrait comportemental sinon psychologique de l'intéressée, participe également de l'histoire du Gotha et de l'illustration de la posture de la représentation de soi.
Ce qui est souligné par l'originale scénographie en trompe-l'oeil de Béatrice Abonyi qui utilise la technique du châssis tendu usité au 19ème siècle pour les décors de théâtre.
Les robes trésors de la comtesse Greffulhe : le dandysme féminin, du culte de soi au chant du cygne
Issue de l'aristocratie de haut lignage, fille de prince et princesse désargentés ayant fait un beau mais peu heureux mariage avec un très riche descendant des Greffulhe, roturiers enrichis sous la Révolution française et anoblis à la Restauration, qui l'acquiert comme un simple signe ostentatoire de richesse, la comtesse Greffulhe va suivre les pas de son oncle d'à peine cinq ans son aîné, le fameux dandy Robert de Montesquiou.
Délaissée par un époux désinvolte et outrageusement infidèle, elle érige la mondanité comme projet de vie, indiquant "s’arranger une vie et des agréments à soi".
Elle se consacre à la mise en scène de soi avec une maîtrise consommée de la stratégie du paraître non seulement comme représentation sociale d'une classe élitaire mais, d'une part, comme appartenance à une aristocratie du goût qui se traduit par "la quête du beau et de l'émotion esthétique", occupation privilégiée des oisifs et des nantis.
D'autre part, elle participe de la représentation de soi en portant le narcissisme au rang du culte de soi, qui passe par la vie mondaine.
Et surtout, par la singularité vestimentaire, que lui permettent une silhouette mince et élancée et une élégance soigneusement cultivée, car, comme l'indique le commissaire,
elle ne saurait se satisfaire de "l'uniformisation démocratique des modes".
Aussi ne faut-il pas de fier à l'air de timide ingénue qu'elle arborre sur le portrait photographique retenu pour l'affiche, car c'est davantage par coquetterie et goût de l'effet, et avec un art consommée de comédienne, qu'elle s'emmitoufle dans une immense cape en agneau de Mongolie qui, ouvert, révèlera une toilette, et une femme, éblouissante.
Car rien n'est naturel, tout est rigoureusement mis en scène.
Sans doute s'invente-t-elle mille vies en portant des robes uniques et singulières dont certaines, extravagantes, qui
présente des similarités avec le personnage interprété par Catherine Frot dans le film "Marguerite" de Xavier Giannoli.
Ainsi veille-t-elle de manière tout aussi autoritaire qu'inventive à la réalisation de tenues exclusives dont la somptueuse "robe au lys" de Worth constitue le point d'orgue en clôture de parcours.
Certaines, extravagantes, évoquent des costumes de scène tels la robe byzantine et les pièces réalisées par la maison Vitaldi Babani avec les tissus de Mariano Fortuny,
Enfin,
la reconnaissance et l'admiration qu'elle suscite, et qu'elle recherche, "Toujours voir la personne en se disant : je veux qu’elle emporte le souvenir d’un prestige à nul autre pareil" écrit-elle, lui procure "une jouissance incomparable".
Dans les années 1930, septuagénaire à la prestance intacte, elle privilégie le noir qui sied à un registre tragique et affectionne les créations "customisées" de Jeanne Lanvin.
Si l'esprit de la comtesse est invoqué, par des photos, des portraits littéraires, des hommages à sa beauté et des citations, l'exposition montre un monde certes disparu mais qui, avait la préscience de son extinction prochaine.
Olivier Saillard signifie cette atmosphère notamment avec une armoire-dressing dédiée aux accessoires sous vitrine.
Cabinet de curiosités, collection d'ornements précieux et reliquaire, avec, soigneusement rangée dans un tiroir, une paire d'escarpins en velours ciselé rouge, peut-être ceux de l'épisode des souliers rouges figurant dans le volume "Du côté de Guermantes".
Emportée par le carrosse du temps, la belle enfuie laisse une une
vaporeuse robe de garden-party en mousseline de soie, taffetas et gaze emblématique de son style de prédilection, dans une présentation à l'horizontale telle un linceul avec rubans de souvenirs échoués.
Une immersion bien documentée dans un passé qui fascine et la mode qui rime avec luxe ostentatoire et une invite à (re)lire Proust. |