J’attends toujours impatiemment la sortie des disques du grand Yann Tiersen depuis que je l’ai découvert au milieu des années 90 avec l’album La valse des monstres. Il fait partie de ces artistes qui ne m’ont jamais déçu. Au contraire, je reste toujours ébloui par le compositeur, le chanteur mais aussi l’Homme, par son naturel et sa simplicité, sa distance par rapport à la sphère médiatique, qu’il travaille sur des musiques de film (de La vie rêvée des anges à Tabarly, en passant évidemment par son Fabuleux destin d’Amélie Poulain) ou sur des albums plus personnels, chantés ou instrumentaux.
Avec son nouvel album, EUSA (traduction bretonne de l’île d’Ouessant), Tiersen ne déroge pas à ma règle et notre digne représentant de la Bretagne me subjugue de nouveau par sa musique mais aussi par ce projet à la fois simple et ambitieux : un lieu (Ouessant), un piano, un album, un chef-d’œuvre.
EUSA est au départ un livre, une sélection de 10 pièces pour piano en partition, sorti il y a un an, qui s’inspire de ses nombreuses visites de l’île du Finistère (qu’il appelle sa maison), accompagnée de photos prises par sa récente épouse, Emilie Quinquis ; une photo symbolisant un lieu de cette île mis en musique par l’artiste : l’ensemble formant une carte postale musicale mais aussi comme le dit Yann Tiersen "une carte postale de qui je suis car Ouessant, c’est bien plus que ma maison, ça fait partie de moi".
EUSA devient aujourd’hui un disque, entièrement instrumental, constitué de 18 titres dont 10 matérialisent dix endroits précis de ce petit bout de Bretagne de 15 km2, situé au large des côtes bretonnes. Autour de ses 10 magnifiques petites pépites jouées uniquement au piano (portant le nom du lieu) s’intercalent de cours morceaux où l’artiste a capté des sons naturels de l’île : le vent, la houle, mais aussi tous les sons qui traversent sa vie quotidienne. Loin d’être inutiles, ces courts instants sonores fragiles sont le ciment des dix lieux racontés par l’artiste. L’album s’accompagne d’un livret tout autant magnifique (le numérique, c’est bien mais tenir l’objet dans ses mains n’a pas de prix) donnant les coordonnées GPS précises des dix lieux ainsi qu’une photo d’eux.
Les dix morceaux de piano sont d’une beauté incommensurable, rendant difficile la possibilité de préférer un titre à un autre sur cet album. Faire un choix, sortir un morceau de cet album plutôt qu’un autre, c’est pour moi ne pas comprendre la démarche esthétique de cet objet musical, ne pas sentir les embruns bretons qui se dégagent merveilleusement bien de cet album. Cet album est un tout, un puzzle de territoires sonores qui se doit d’être savouré et écouté du début à la fin, sans interruption, pour ne rien manquer de cette plénitude bretonne. L’écouter le soir à la tombée de la nuit, en sirotant un thé, s’avère un pur moment de bonheur.
Alors évidemment les inconditionnels admirateurs de Yann Tiersen (mais aussi ceux qui le découvriront avec cet album) ne manqueront pas de s’arrêter sur "Porz Goret" (dont la vidéo a déjà été vu par plus d’un million de personnes sur le net), sublimissime ballade au piano mélancolique enregistrée sur le rivage de l’île. Les chansons s’enchaînent néanmoins avec une fluidité parfaite, Tiersen nous embarquant dans une découverte initiatique de sa Bretagne où les notes de son piano font écho à son passé.
Ses dires, "J'aime écrire des chansons où il y a de la mélodie, mais je n'ai pas envie de les chanter" prennent tout leur sens à travers cet album. Y rajouter des paroles ne serait d’aucune utilité tant la musique se suffit à elle-même pour nous faire voyager ou nous transporter vers ce petit bout de Bretagne si cher à Tiersen. Ecouter "Kereon", "Pen Ar Roc'h" mais aussi "Penn Ar Lann", c’est appréhender la Bretagne dans ce qu’elle a de plus sauvage et de mystérieux, c’est comprendre qu’elle est un territoire complexe, empli d’histoire et de paysages variés que cet album s’attache à nous raconter. Tiersen, fabuleux conteur musical, nous raconte la sienne avec la simplicité que l’on lui connaît.
A travers une véritable exploration orale mais aussi une impressionnante représentation musicale des espaces, Yann Tiersen, épris de ses racines, de sa terre, nous livre un album épuré qui sonne comme un délicieux voyage d’une simplicité et d’une tranquillité touchante. A travers son land art musical, Tiersen pourra toujours continuer de chanter les louanges de sa Bretagne pour mon plus grand plaisir. Cet album est pour moi véritablement salutaire et bouleversant…. Chapeau bas.
# 05 mai 2024 : Profitons des ponts pour lire, écouter, visiter, applaudir...
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