Carnet de bords de scènes #2 (2/2)
Frédéric s’était pourtant réveillé de bonne humeur ce vendredi matin. Il s’était couché hier de parfaite humeur, ravi de sa journée. Il était arrivé pendant la première chanson d’Alexis HK et a pu profiter pleinement du concert. La grande classe. La chemise impeccable, le verbe propre, la voix tranquille, le sourire aux lèvres, Alexis a du métier.
Seul à la guitare face au Magic Mirror, il a littéralement retourné le public et avancé avec lui sautillant de mots en mots, de notes en notes. Fred au moment du café du matin, se revoit boire les paroles d’Alexis HK : "C’que t’es belle", "La maison Ronchonchon", "Gaspard" le nain, "Mitch"… Une ambiance posée, un jeu de guitare assuré mais qui, par modestie, se contente de soutenir le texte, des mots qui sonnent justes… Que demander de plus ? Peut-être que cet ivrogne au bar qui se prend pour le pivot de la soirée fasse un peu moins de bruit qu’Alexis HK ? Allez, un petit "Comme une vierge", célèbre morceau de Georges Bradonna et l’ambiance est repartie de plus belle. Le mot de la fin revient au maitre de cérémonie : "Je me suis senti parfois un peu seul sur scène, mais c’est le jeu quand on est en… solo !". Merci Maître.
Comment ne pas se réveiller de bonne humeur et arriver plein de joie au concert de D.U.O. à midi après ça ? Et pourtant… Deux anciens Wriggles pour une formule D.U.O., et pourtant… De l’expérience, deux beaux interprètes, une jolie chemise… et pourtant. Ça colle pas ! Fred s’ennuie… Il attendait pourtant ce concert avec impatience, s’imaginant une bonne tranche de rire, une bonne dose de bonne humeur, mais non, ça ne colle pas… Il y a bien au milieu quelques bons mots, quelques morceaux très réussis, mais l’ambiance ne décolle pas. Nos deux artistes sur scène en rajoutent, usent leur concept de mise en scène jusqu’à la corde… et tout ça sonne un peu faux. Fred a du mal à y croire, à entrer dedans… Plus le public s’éloigne et plus le groupe en rajoute, et plus le groupe en rajoute, et plus le public s’éloigne… Fred accueille la fin du spectacle avec soulagement, un peu déçu de ce rendez-vous manqué. D.U.O. a certainement du potentiel, mais le projet n’est aujourd’hui pas assez abouti pour se frotter aux moments forts des jours précédents… Une autre fois peut-être.
Au moins Fred ne traine pas aujourd’hui et rejoint vite le village pour manger sans délai. Il sait en toute objectivité que plus le festival avance, plus il devient difficile de le séduire. Cet après-midi sera donc consacré à se reposer l’esprit et les oreilles, en papillonnant sur les différentes scènes pour la carte blanche au Fil. La salle de spectacle bien connue propose aux festivaliers un certains nombre de groupe de la région. Fred se promène donc pour picorer à loisirs : Geoffroy Barthelemy & Alcatraz, Keirda 2.0, Soole, Blacklarsen. Il profite de l’après-midi pour se ressourcer un peu, discuter à droite à gauche et se préparer pour LA grosse soirée du festival, le troisième Zénith de la semaine : Les Tit’nassels, Les Ogres de Barback et Têtes Raides !!! Une affiche qui impose le respect et oblige à soigner sa condition de festivalier, pour jouir au mieux de l’évènement.
C’est fou comme on peut être étonné par une telle soirée et se tromper sur toute la ligne ! Fred pariait encore, quelques minutes avant de rentrer dans le Zénith, sur le fait que les Ogres réunissaient toutes les conditions pour profiter de cette scène avec un gros décor, de nombreux instrument, une énergie débordante…
Il est néanmoins plus inquiet pour Les Tit’NAssels… Comment vont-ils s’en sortir tous les deux sur cette scène énorme qui en a aplati plus d’un ?
Fred ne restera pas sceptique bien longtemps, le duo roannais bien connu joue la carte de la simplicité et du plaisir. Pas de surenchère inutile, pas d’artifices opportunistes, on joue, on se marre et on profite. Et dans le public, ça fonctionne : on écoute, on chante, on se marre et on profite à l’unisson. Rarement un début de soirée au Zénith a dégagé une telle ambiance et rarement une coiffure a été aussi aérodynamique – est-ce pour profiter du vent en poupe ? Axel et Sophie réussissent leur pari et prouvent que l’authenticité et le plaisir de jouer fonctionnent aussi dans les plus grandes salles, sans nécessairement demander un show à l’américaine. Ils partagent, devant les yeux ravis de Fred, leurs tubes, leur coup de cœur, leur pointes d’humour, une chanson avec les Ogres et la joie d’être ici. C’est très réussi ! C’est une vraie performance, qui rappelle que ces deux là sont à classer parmi les groupes qui comptent. Chapeau les pTit’ !
Autre groupe qui compte : Les Ogres de Barback. Fred les connaît par cœur et attend du lourd… Gros décor, grosse mis en scène… Il observe avec attention la structure métallique qui se dresse sur scène, les instruments installés… et le concert commence. Les musiciens excellent, chacun passant d’un instrument à l’autre. La structure métallique impressionne et évolue. Frédo le chanteur s’installe au cœur de la structure, comme en cage le temps d’un morceau. Une fée surgit, voltigeant le long d’un ruban le temps de deux chansons. Ça vole, ça plane. Les veilles chansons croisent les nouvelles. La structure avance d’un mètre en direction du public, quatre techniciens s’affairent à descendre une barre et à y attacher une corde. Pléthore de remix pour l’occasion.
La Mano Négra croise "Une grosse tortue", "La Manche" se fait en rap ! Les Ogres sont toujours là où on ne les attend pas, ce n’est donc pas étonnant que parfois on ne les trouve pas. Fred s’est perdu dans le concert, n’y trouvant aucun sens. Trop de tout. Un son moyen, une voix qui peine à tenir la longueur et on perd l’essentiel… Dans les tournées précédentes, la mise en scène des Ogres servait le message et la musique. Aujourd’hui Fred ne sait pas ce qui est au service de quoi… A quoi sert au final cette structure ? Pourquoi avance-t-elle ? Pourquoi tant de temps pour un numéro de voltige qui arrive comme une trapéziste dans un jeu de quille ? Quid de Frédo qui fait un saut à l’élastique dans le noir et qu’on remarque à peine ? Nous sommes proches de la dysneylandisation du spectacle musical, lorsque la mise en scène prend le pas sur la musique, sans lien avec elle.
Allez, c’est loupé pour ce coup là, Fred est un peu déçu mais comprend aussi que pour un groupe en perpétuel recherche de renouvellement, de rencontres, de nouveautés, il faut sans cesse innover, tester, proposer, et qu’il est bien normal que dans ce processus de création, certaines voies soient parfois plus stériles que d’autres. Fred reste ainsi en fin de concert fidèle au groupe et souhaite à toute la famille Burguière, et à Fredo son chanteur en particulier, santé, bonheur et de nouvelles aventures à dévorer avec un appétit d’Ogres ! Content de ce bon mot, il compte sur l’expérience et l’authenticité des Ogres de Barback pour bifurquer prochainement sur un chemin fertile et prometteur.
Prometteur est le dernier album des Têtes Raides, prometteur est la tournée. Aucune déception à l’horizon. Fred vit un concert magique à chaque seconde, comme il ne l’avait plus vécu depuis longtemps, comme il n’en avait jamais vécu au Zénith. Aucune fioriture, aucun artifice. Les artistes sont les oiseaux mazoutés du bord de mer. Le public houleux se balance. Ses vagues se cassent sur les lèvres de Christian Olivier. Le Zénith tremble. Nous sommes en suspension, portés par la voix puissante, mécanique, maitrisée. Les chaines vocales raclent dans la gorge usine. Les poulies nous remontent la plus belle pêche de la soirée.
Ce soir la mer n’est pas que de l’eau. "Ginette" est notre phare dans cette Ode à la nuit ! Injectons-nous les flammes de la transe… Tout se mélange : "Emma" ne sait pourquoi, "Gino" est là… Salut "Gérard", j’ai des trous dans le dos, et… "Paris c’est Bamako" !
Et comme quand l’un manque à l’appel, cent ans après, coquin de sort, il nous manque encore, le plus bel hommage du moment est lancé à la mer : "Le 10 janvier 2010 s’éteignait un garçon qui disait : "J’ai tellement parlé de la mort, que j’ai cru la noyer, la submerger de ma vie, l’emmerder tant et tellement, qu’elle abandonne l’idée même de m’emmener avec elle… Monsieur Mano Solo !" Qui a croisé la route une fois de Christian ou Mano mesure le poids de cette déclaration d’amitié, qui vous retourne les tripes et vous tire les larmes que le monde entier n’a pas chialé. Putain "la vie, c’est pas du gâteau !". Merci Christian Olivier ! Merci Têtes Raides. Merci Paroles et Musiques.
Fred sort du Zénith sur un nuage et termine la soirée en apesanteur… "Ode à la nuit qui me remplit / J'y brûlerai en plein midi / Ode au matin qui me retient / J'irai demain en l'an demain"… A demain ! |