Quand j'étais adolescent, il y a eu un premier boom des musiques électroniques populaires (sinon populistes), qui importèrent l'expérimentation kraftwerkienne sur le terrain des musiques de danse acérébrées. Le monde s'embrasait de cette fièvre inepte et, soudainement, il n'était plus question que de rythme de la nuit, de dormeurs qui doivent se réveiller. Moi, j'étais à-peine adolescent, volontiers extrême, amoureux de rock et parfaitement outré par ces niaiseries scandaleuses.
Bientôt, de rave party acidulée en teknival érudit, la musique électronique s'est heureusement reconstituée musique à part entière, réussissant à retrouver les chemins d'une composition véritable, d'une expérimentation, d'une inventivité, hors des ornières du mercantilisme pour foules avides d'oubli de soi – et parvenant même à trouver les chemins d'une reconnaissance publique allant au-delà des fêtes foraines et des boîtes de nuits ringardes.
C'est une telle musique électronique au sens noble du terme que propose le jeune compositeur français Rone (Erwan Castex). Influencé par les meilleurs noms des meilleures écuries du genre (Warp et Ninja Tune en tête), il explore la face planante de l'électro et dessine des paysages oniriques riches et complexes, aux antipodes de la scansion facile de boucles vides.
Tohu Bohu est son second album, et il confirme que le label InFiné a eu raison de s'intéressant à cet anonyme du web. Aucun geste musical n'est ici gratuit, et l'on sent plutôt le travail aimant de l'artisan, courbé sur son œuvre. On mesure, surtout, le chemin parcouru par le genre musical depuis les années 80, la digestion et le réinvestissement des codes des musiques dance étant parfaits (jetez une oreille sur "Let's go", par exemple, où s'invite High Priest d'Antipop Consortium pour quelques lignes de chant).
Tohu Bohu confirme également la volonté du jeune musicien d'explorer l'univers visuel au travers de son œuvre, puisqu'il scelle un partenariat avec le réalisateur et illustrateur Vladimir Mavounia-Kouka et le studio Fünf, responsables de l'univers visuel de l'album (pochette, clips...) et du spectacle live (en cours de création) auquel il donnera lieu. Où l'on prouve que la musique électronique peut à son tour prétendre à un statut artistique authentique. |