Au micro de Loopkin, une Interview d’Arab Strap pour
qui "Les anciennes chansons c’est comme les ex-fiancées,
tu n’es plus amoureux mais elles font encore partie de ce que tu es."
En marge du double concert sur le frêle esquif de la dynamique Guinguette
Pirate, Aidan Moffat, chanteur simple et génial du duo
écossais Arab Strap, nous laisse pénétrer dans son univers.
Un nouveau disque
On écrit toujours des albums avant tout pour nous, quelque chose
dont on puisse être contents. On ne voulait pas faire un disque aussi
sombre que le précédent, "The Red Thread", car je pense
en effet que c’était vraiment un disque très sombre, je
voulais un disque plus léger et gai. Je pense que c’est finalement
la fin d’un certain chapitre de l’histoire d’Arab Strap.
Désormais on va continuer à faire des disques de ce genre
pendant très longtemps. Le prochain album sera tout de même différent
de celui ci, notamment sans doute dans de nouveaux essais de production, de
sons et d’arrangement… mais nous étions arrivés au
bout d’un cycle commencé il y a… pas mal de temps. Je ne
sais pas à quoi pourra ressembler le prochain album mais je sais seulement
qu’il faudra qu’on continue à se surprendre et à être
intéressés par ce que nous faisons.
La formation évolue
On voulait avoir plus d’instruments, un plus gros son, donc on
a demandé à des gens autour de nous, et cela tombe bien car on
connaît beaucoup de personnes qui sont de bons musiciens. Et puis j’ai
besoin de travailler avec des gens que j’aime, ça aide toujours,
je ne me vois pas en train de travailler avec des gens que je ne peux pas sentir.
C’était vraiment agréable de jouer avec des amis.
Par exemple Conor (Oberst) a participé aux voix (Act of War…) et
un autre de Bright Eyes était à la pedal-steel, en fait ils n’étaient
dans le studio que pour deux heures comme ils faisaient un concert à
Glasgow et sont passés en coup de vent. C’est réussi au
final. Je suis un fan de tout ce que fait Bright Eyes de toutes façons.
Mais on reste un duo : Malcolm (Middleton) et moi faisons tout sur le disque,
on compose seuls et on supervise tout ce qui se passe, on demande à certaines
personnes de jouer des instruments dont on ne sait pas jouer. Mais une fois
de plus c’est une bonne chose que ce soit des gens comme Barry (Burns
de Mogwai), Conor (Oberst), Jenny et Stacey (cordes), des gens que l’on
connaît, en qui on peut avoir confiance et dont l’opinion nous importe,
cela a beaucoup aidé.
Mais c’est vraiment le bébé de Malcolm et moi.
Les chansons étaient quasiment finies quand ils sont arrivés,
on a juste ajouté par-dessus les cordes et des instruments. Avant je
pense qu’on se serait contenté de laisser les chansons telles qu’elles
mais là on voulait essayer des choses, notamment les cordes, avec plus
d’instruments et donc plus de musique.
Nouvelle écriture
J’ai délibérément voulu écrire différemment
et en même temps ce n’est pas si différent. C’est sans
doute moins grossier et explicite (rire gras) mais j’étais
juste fatigué de l’ancienne manière, je ne voyais pas l’intérêt
de continuer à faire des choses qui ne m’intéressaient plus.
J’essaie même d’écrire des chansons plus romantiques
pour le prochain album, je voudrais qu’il soit la facette heureuse d’une
relation amoureuse.
Mais en même temps je continue à beaucoup aimer les anciennes
chansons, et j’aime les jouer, je les aime sans doute moins que les nouvelles
car celles-ci sont simplement plus fraîches et gaies. Personnellement
les sentiments des anciennes chansons sont encore pertinents et vrais : les
anciennes chansons c’est comme les ex-fiancés, tu n’en es
plus amoureux mais elles font encore partie de ce que tu es, et c’est
pourquoi je leur accorde encore de l’importance.
C’est vrai que ce disque est plus heureux, en même temps
je ne sais pas vraiment ce qu’est le bonheur. Mais je crois être
vraiment heureux. Bien sûr j’adorerais être une vedette, passer
dans Top of the Pops ou être en tête des ventes de disques mais
je ne pense pas que je sois fait pour cela. Au final je suis très heureux
de pouvoir sortir des disques et de continuer à mener notre barque de
la manière dont on le désire.
Le chant d’Aidan
Ma manière de chanter a évolué à cause
de ces longues tournées depuis sept ans. Avant j’essayais de chanter
mais je n’y arrivais tout simplement pas. Maintenant je me mets à
chanter les vieilles chansons à la manière dont je le voulais
au début car j’ai appris sur le tas.
Enfin je ne dis pas que je sais chanter, mais bon tu vois ce que j’essaie
de faire quand je chante, je n’essaie pas d’être parfait.
Mes chansons ne fonctionneraient pas si elles n’étaient pas un
peu de traviole. L’important là encore c’est de garder son
identité propre, et notamment par les voix.
Donc je fais plus d‘effort qu’avant c’est vrai, mais
j’étais très paresseux à l’époque. Il
n’y avait pas d’idée à la base de sonner d’une
manière ou d’une autre, cela s’est juste développé
avec le temps de manière presque naturelle. Je pense chanter comme je
suis et donc cela évolue un peu avec moi. Je n’aime pas l’exercice
de style que pratiquent certains chanteurs d’interpréter des voix,
cela ne me ressemblerait pas.
Arab Strap sur le chemin de la respectabilité?
En fait je ne pense pas qu’on soit aussi conventionnel qu’on
le désirerait (rires). A cause de la musique c’est effectivement
l’album le plus accessible, et c’est bien pour cela qu’heureusement
il plaît plus et j’en suis vraiment très fier. Pour nous
l’identité d’Arab Strap est toujours présente. On
ne peut pas être certain de la voie que va emprunter au final le prochain
album, le retour au minimalisme n’est pas impossible. En fait j’avais
eu envie à un moment de faire un album acoustique mais Malcolm m’a
piqué l’idée.
Quand on a un public comme celui que nous avons, c’est difficile
de ne décevoir personne. Par exemple hier quelqu’un m’a dit
qu’il était déçu par le nouveau disque. C’est
très difficile de satisfaire tout le monde. Ma position c’est que
tu ne peux même pas penser au public quand tu écris des chansons.
Et donc on ne le fait pas, nous nous contentons d’essayer d’être
nous même contents du disque. Et Chemikal Underground (leur label)
est d’accord avec nous sur ce point, on ne peut rien contrôler,
donc autant faire ce qu’on veut.
Et donc pour cet album en particulier, cela nous aurait beaucoup ennuyé
de continuer sur la même voie, même si là encore je ne pense
pas que nous ayons tant changé. Dans le même ordre d’idée
on reviendra en tournée en novembre avec cette fois ci un septet et donc
forcément la musique sera pour cette raison plus étoffée
et donc différente.
Les concerts
On a fait une tournée de concerts acoustiques en Ecosse et en
première partie de Bright Eyes aux Etats Unis avec une formation resserrée
dont David au pedal-steel et à la basse qui est le membre le plus fraîchement
arrivé.
Et maintenant nous jouons ici les deux derniers concerts de ce type
avant tournée avec une nouvelle formation. On a eu l’opportunité
de venir jouer à Paris pour le week-end dans cette salle (La Guinguette
Pirate) donc on a en profité. C’est une sympathique petite
salle, c’est bizarre car il y a des trous dans la toiture quand il pleut
et cela tangue assez pendant le concert, mais c’est d’autant plus
amusant.
On joue à la fois des nouvelles chansons et des plus vieilles
mais sans doute plutôt celles du nouvel album. C’est là encore
difficile parce qu’on ne sait pas ce qui va faire le plus plaisir au public.
Et quand on est seulement Malcolm et moi sur scène, on peut jouer la
plupart des chansons de notre répertoire même les anciennes, mais
avec la formation nos possibilités sont plus réduites car on n’a
pas pu répéter toutes les chansons. Pour les prochains concerts
on aura une batterie, un piano, quelques cuivres et donc plus d’élan
avec un plus gros son. Ainsi plus proche de notre dernière tournée
en France, mais avec plus de personnes que cette fois ci.
On prend les concerts plus au sérieux qu’à un moment,
mais comme on a commencé au début à faire des concerts
de manière très décontractée alors on est plus ou
moins resté dans cette idée. On n’a pas besoin d’avoir
la même discipline que Mogwai pendant un concert. Eux ont vraiment besoin
de se concentrer sur leur musique (rires).
Personnellement pendant le concert je ne fais pas attention au public
ou à ce qui m’entoure, j’essaie de garder les yeux fermés
et de m’impliquer dans ce que je fais. Bon on ne refuse jamais les bières
qu’on met à notre disposition. Sans doute que ces bières
m’aident à me relaxer quand je suis trop nerveux, mais franchement
je ne pense pas en avoir besoin physiquement.
Faire un concert c’est vraiment différent de faire un
disque, c’est clairement quelque chose de plus personnel. J’aime
beaucoup jouer en concert. Parfois cela peut vraiment être exténuant
et puis à force de jouer les mêmes chansons tu t’en lasses
un peu, et c’est aussi la raison pour laquelle on continue à écrire
des nouvelles chansons et surtout des chansons différentes pour des concerts
différents. On doit continuer à se surprendre car si cela commence
à ennuyer le groupe alors c’est forcément très ennuyeux
pour le public.
C’est un cycle vraiment spécial quand tu enchaînes
un disque avec un concert : tu fais quelque chose dont tu es très content,
tu penses que c’est parfait et ensuite pendant toute l’année
suivante tu dois jouer ces titres en concert et alors ils changent et deviennent
vraiment différents de ce qu’ils étaient au début.
C’est assez énigmatique en fait la manière dont
cela se produit, mais au final mais je pense que ce n’est fondamentalement
pas le même travail même si tu crées quelque chose dans les
deux cas. On pourrait imaginer de jouer des chansons jamais enregistrées
ou de faire un disque qu’on ne jouerait jamais, cela pourrait être
bien, j’aime assez l’idée en tous cas (rires). Pour
les prochains concerts en tous cas, nous allons nous concentrer sur les chansons
les plus connues car on n’arrête pas de nous demander des morceaux
que nous ne jouons pas et cela doit décevoir ces personnes.
L’Ecosse
Je pense que la scène musicale écossaise est assez étroitement
liée à l’Ecosse elle-même. Glasgow en particulier
a toujours eu une activité musicale très importante et c’est
une bonne chose, mais personnellement c’est dur de s’imaginer qu’on
en fait partie. Je n’ai réalisé que depuis peu de temps
après avoir fait plus de disques que nous étions acceptés
comme une partie de cette scène qui comprenait les Pastels ou Teenage
Fan club. C’est une expérience bizarre de s’imaginer que
quand j’étais jeune c’était eux la scène indépendante
écossaise et que maintenant c’est en partie nous. L’Ecosse
est sans conteste très riche musicalement.
On a voulu exploiter cette identité écossaise, notamment
dans Loch Leven où on a voulu recréer une sorte de vieille chanson
traditionnelle écossaise et cela nous a semblé assez amusant.
J’étais complètement ivre et tout seul dans le studio et
j’ai fait ce morceau avec les enregistrements de cornemuse (rires).
Sérieusement je pense que notre identité tient en partie
au fait que nous sommes écossais, pour les voix et les textes mais aussi
dans la musique : il y a vraiment cette tradition de raconteurs d’histoires
et de musique populaire. C’est un élément important.
Les aventures en solitaire
En fait on risquait, avec le temps, tout simplement de s’ennuyer
à rester tout le temps ensemble. Je pense que cela a été
quelque chose de très sain, et cela nous a aussi beaucoup aidé
pour le nouvel album. Après avoir fait chacun notre disque, on est revenu
vers Arab Strap. Cela nous a permis de faire une pause, et je pense qu’on
refera cela dans le futur.
Je crois que Malcolm va sortir un album l’année prochaine
et que je vais en sortir un autre aussi (Lucky Pierre) puis là encore
on reviendra ensuite vers le groupe. J’aime beaucoup l’album de
Malcolm, il est fabuleux. Je l’ai toujours encouragé à faire
ses propres disques et je suis très heureux qu’il l’ait fait
enfin. Et j’espère que le prochain sera aussi bon.
Pleins de projets
Une fois on a écrit une chanson pour le film "Acid House"
il y a des années. Mais j’aimerais un jour en faire réellement
une, je pense que la musique de film peut se permettre d’être très
atmosphérique et très visuelle en même temps, mais on n’a
jamais eu l’opportunité. Pour ce genre de chose tu ne peux qu’attendre
jusqu’à ce que quelqu’un te le propose. A moins de faire
son propre film… on n’y a déjà pensé. Quand
on était sur une major (via Go Beat) ils devaient nous donner de l’argent
pour en faire un mais cela s’est mal passé entre nous donc cela
n’a pas eu lieu. Mais peut être un jour, qui
sait?
J’ai aussi la vague intention d’écrire un livre.
J’ai quelques idées mais je suis vraiment trop paresseux pour le
faire. En fait on peut dire que j’en ai commencé deux en même
temps mais je n’ai pas dépassé les trois pages. J’ai
du mal à me concentrer longtemps, je pense que le mieux sera sans doute
d’écrite des nouvelles courtes. C’est aussi pour cela que
j’écris des chansons car les textes sont très brefs, je
me sens plus à l’aise dans cet exercice. Peut être sortir
un recueil de mes textes. Beaucoup de possibilités.
Il y a aussi le prochain All Tomorrows Parties, on ne peut pas jouer
en tant qu’Arab Strap car le principe pour cette édition est que
les groupes ayant déjà joués auparavant ne peuvent pas
revenir (ils y étaient en 2000). Mais peut être que Malcolm
jouera seul ou moi comme DJ, dans tous les cas on sera à coup sûr
dans le public. J’aimerais que Malcolm joue car, comme j’ai joué
de la batterie sur son disque, je pourrais l’accompagner. On verra.
Pourquoi nous accorder cet entretien?
Je pense que l’essence même de toute bonne musique, c’est
d’établir des communications. Et en faisant cela, jouer en concert
ou faire des interviews, c’est bon de savoir que le public comprend ce
que nous essayons de faire.
Je pense que toute musique est fondamentalement un appel à l’aide
lancé au monde (rires). Je suis très fier de ce nouvel
album, et c’est bon de voir que certains l’apprécient aussi.
C’est vraiment un métier bizarre mais qui donne beaucoup de satisfaction…
je perdrais ça si j’étais à Top of the Pops (rires).
On n’a pas de plan de carrière et je ne sais pas combien
de temps tout cela va durer, certainement aussi longtemps que moi et Malcolm
en aurons autant envie.
|